
M. Raffarin propose une ''organisation décentralisée'' de la République
Date: 07 octobre 2002 à 23:11:30 CEST Sujet: Informations Générales
Source : Le Monde, 05/10/2002.
Le gouvernement devrait présenter, au conseil des ministres du 16 octobre, un projet de loi constitutionnelle qui renforce fortement les pouvoirs des collectivités territoriales. Celles-ci y gagneront un droit d'expérimentation et une autonomie financière.
Le 10 avril, à Rouen, le candidat à l'élection présidentielle Jacques Chirac avait pris l'engagement de "repenser hardiment l'architecture des pouvoirs dans un projet global et cohérent". Mercredi 16 octobre, le gouvernement devrait adopter en conseil des ministres un projet de réforme constitutionnelle qui aboutira à une profonde réorganisation de la répartition des pouvoirs entre l'Etat et les collectivités (Le Mondedu 20 septembre). Ce texte, dont Le Monde s'est procuré une copie est actuellement en lecture au Conseil d'Etat.
Le projet de loi modifie l'article premier de la Constitution, qui définit les valeurs fondamentales de la République.
Cet article disposera désormais que l'"organisation[de la République] est décentralisée". Le caractère indivisible de la République et le principe d'égalité des citoyens devant la loi restent affirmés. Cependant, "l'idée selon laquelle ces principes exigeraient que l'on bride les initiatives locales appartient au passé", affirme l'exposé des motifs.
Quatre niveaux de collectivités territoriales.
La région fait son entrée dans la Constitution. Créée en 1972, la région n'avait en effet pas d'existence constitutionnelle jusqu'alors. Désormais, elle figurera, à l'article 72, au rang des "collectivités territoriales de la République"au même titre que la commune et le département.
Le projet de loi ne supprime pas le département. Cependant, des redécoupages territoriaux (fusion de deux départements dans une région, ou de deux régions, par exemple) seront possibles. Le législateur peut en effet créer des collectivités territoriales à "statut particulier".
Les nouvelles collectivités ainsi créées par le législateur pourront se voir transférer une "part substantielle" des attributions normalement exercées par les collectivités classiques auxquelles elles se substituent.
"Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités", le projet ouvre également la possibilité au législateur de confier à l'une d'entre elles le rôle de "chef de file" lui permettant de fixer les modalités de l'action commune.
L'expérimentation.
Le texte prévoit désormais que "sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit fondamental", les collectivités pourront être autorisées par la loi ou le décret à "déroger, à titre expérimental, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences".
Par ailleurs, jusqu'à maintenant, le champ de l'expérimentation, à l'intérieur de la loi, pour les collectivités se limite à l'exercice de leurs compétences (par exemple l'expérimentation de la régionalisation des transports ferroviaires). Les expérimentations pourraient désormais aussi porter sur leurs ressources et leur organisation. L'expérimentation devient ainsi selon l'exposé des motifs, un "instrument(...) de réforme". Celui-ci précise aussi qu'à "l'issue de l'expérience, c'est une règle unique qui s'appliquera de nouveau". Et ce sera au Parlement d'en décider.
Sans que le mot y figure, le principe de subsidiarité est introduit dans la Constitution à travers l'article 72. Il dispose que les collectivités "ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à l'échelle de leur ressort". Ce principe pourra être appliqué, à titre expérimental.
Pouvoir réglementaire.
Les collectivités disposent déjà d'un pouvoir réglementaire. Mais ce droit est souvent bafoué par l'Etat. L'article 72 modifié lui accorde une reconnaissance constitutionnelle. Il prévoit que "pour l'exercice de leurs compétences", les collectivités "disposent d'un pouvoir réglementaire". Celui -ci reste donc limité.
Autonomie financière des collectivités.
Désormais, l'article 72 de la Constitution précisera les conditions dans lesquelles s'exerce le principe de libre administration des collectivités, qui figure déjà dans la Loi fondamentale. Il consacrera la faculté pour les collectivités de recevoir "tout ou partie des impositions de toute nature". En clair, les collectivités pourront désormais non seulement percevoir des impôts locaux mais également se voir transférer une partie des impôts nationaux. La Constitution leur reconnaîtra également la faculté de fixer, dans les limites définies par la loi, le taux et l'assiette de ces différents prélèvements fiscaux.
L'article 72 précise aussi que ces recettes fiscales, les autres ressources propres des collectivités, et les "dotations qu'elles reçoivent d'autres collectivités territoriales" devront représenter "une part déterminante" de leur budget. Cet article stipule aussi, clairement, que "tout transfert de compétence entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution des ressources équivalentes à celles qui leur étaient consacrées". Désormais, les inégalités de ressources entre collectivités seront corrigées "notamment" par la "péréquation" financière.
Démocratie directe.
"La décentralisation des compétences doit aller de pair avec le développement de la faculté d'expression directe dont disposent les citoyens au niveau local", souligne l'exposé des motifs du projet de loi. La Constitution reconnaîtra désormais le droit aux collectivités d'organiser des référendums décisionnels -et non plus simplement consultatifs- sur des questions relevant de leurs compétences. Ces référendums ne concerneront pas l'ensemble des habitants des collectivités concernées mais seulement leurs électeurs.
La Loi fondamentale reconnaîtra également à ces mêmes électeurs, dans les conditions fixées par la loi, un "droit de pétition" pour obtenir l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de leur collectivité d'une question relevant de sa compétence.
Le Sénat.
Le projet consacre son rôle de représentant des collectivités territoriales. L'article 39 modifié dispose que les projets de loi qui concernent directement les collectivités "sont soumis en première lecture au Sénat".
Contrairement à ce que souhaitait le Sénat, le projet ne retient pas le principe selon lequel le gouvernement ne pourra pas décréter l'urgence sur ces textes.
L'outre-mer.
Le projet substitue à la notion de "territoire"celle de "collectivités d'outre-mer". Il donne une reconnaissance constitutionnelle à des dispositions déjà en vigueur. Il prévoit, au terme du nouvel article 73 que ces collectivités pourront "être habilitées à fixer, elles-mêmes, les règles applicables sur leur territoire, y compris dans certaines matières relevant du domaine de la loi". Le nouvel article 74 prévoit pour chacune de ces collectivités un "statut particulier" qui fixera, au terme d'une loi organique et après avis de la collectivité, "les conditions dans lesquelles les lois et les règlements y sont applicables". Au terme d'une loi organique également, la collectivité pourra prendre des "mesures justifiées par les nécessités locales (...) en faveur de ses habitants, en matière d'accès à l'emploi (...) ou de protection du patrimoine foncier". Enfin, l'Etat pourra "associer" la collectivité "à l'exercice des compétences" qu'il conserve.
Béatrice Jérôme et Laetitia Van Eeckhout
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Le patrimoine naturel également concerné
La ministre de l'écologie, Roselyne Bachelot, devait présenter, vendredi 4 octobre, à Millau, les grandes lignes du projet gouvernemental visant à "décentraliser la gestion du patrimoine naturel". L'Etat conserverait la responsabilité de classer des sites et de créer des parcs nationaux, des réserves naturelles ou des parcs naturels régionaux (PNR). Mais la gestion des deux premiers serait déléguée aux collectivités territoriales, comme c'est déjà le cas pour les PNR. La question des transferts de ressources financières n'est pas abordée.
La décentralisation de la gestion des espaces naturels s'accompagnera de la déconcentration des pouvoirs restant dévolus à l'Etat et représentés par les préfets et les directions générales de l'environnement (Diren). Une consultation devrait avoir lieu avant une éventuelle inscription au calendrier législatif, en 2004 au plus tôt.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.10.02
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