Commémoration du 10 Mai de l'esclavage : appel à la vigilance


Date: 13 avril 2005 à 19:25:34 CEST
Sujet: Informations Générales


Le 10 mai est la date annoncée de la commémoration commune de l'esclavage, proposée dans un rapport remis hier au premier ministre français. Journée des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions.

Préambule

Le quotidien le Monde annonce cette date dans l'article du 13/04 ci-après, commettant avec imprécision ou ambigüité, une digression historique qui vaut la peine d'être signalée. A peu-près ? Erreur ou Mensonge ? Manipulation ? Je ne préjuge pas de la raison d'être de cette phrase. Selon nos sources, le décret d'abolition de 1848 est arrivé aux Antilles le 03 Juin 1848 porté par Perrinon, bien après que le soulèvement des esclaves ait contraint les autorités locales à promulguer cette abolition. Sé pa Schoelcher ki libéré nèg.

Pour cette raison, j'exhorte tous les militants concernés à faire preuve de vigilance et les médias français, à ne pas renouveler ce genre de bévue pour ne pas galvauder la vérité historique, afin de permettre que cette date-compromis de commémoration de l'esclavage ne soit pas un échec retentissant en France, une fois de plus, mais une manifestation sereine de mémoire et de recueillement.

Pour information, un document retraçant les conditions de l'abolition de l'esclavage en Martinique le 22 Mai 1848 est disponible ici.
Source : Le Monde

Le 10 mai, jour de mémoire partagée autour de l'esclavage

Maryse Condé n'en revient toujours pas. "Mais jamais, dans mon enfance, on ne m'a parlé de l'esclavage !", dit-elle au Monde, à l'occasion d'un court séjour à Paris. Elle est écrivaine, guadeloupéenne. Son dernier roman retrace dans une "autobiographie rêvée" sa propre Histoire de la femme cannibale (éd. Mercure de France, 2003). Elle a longtemps été professeur à l'université Columbia, aux Etats-Unis. Elle a remis, mardi 12 avril, au premier ministre français le premier rapport du Comité pour la mémoire de l'esclavage, qu'elle préside, installé voici un an pour tenter de combler un "trou de mémoire". Un énorme trou : deux cent onze ans.

Une première fois, le 4 février 1794, l'esclavage est aboli par la France, avant d'être rétabli, en 1802, par Napoléon Bonaparte, influencé ­ médira-t-on ­ par sa première épouse, Joséphine de Beauharnais, fille de planteurs martiniquais. Il faut cependant attendre encore près d'un demi-siècle pour que Victor Schoelcher, député de la Guadeloupe et de la Martinique, impose la fin légale de l'esclavage dans l'empire colonial français.

Mais c'est le temps de la marine à voile. Le décret du 27 avril 1848 n'arrive, au fil des vagues, que le 22 mai en Martinique, le 27 en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et seulement le 20 décembre à la Réunion.
Une arrivée parfois précédée par des soulèvements d'esclaves.

Dès lors, qui doit-on honorer ? Les quelques tenants, comme Schœlcher, de l'abolitionnisme, symboles éclairés d'"une France bonne et généreuse" ? Ou les millions de victimes anonymes de la traite négrière ? Et comment trouver, enfin, une "mémoire partagée de l'esclavage" pour les descendants des anciens colonisateurs et ceux des anciens colonisés ?

La question divise au plus haut point les communautés d'outre-mer. Elle a d'autant plus alimenté les débats des onze membres du Comité ­ historiens, sociologues, philosophes, juristes, médecins, etc. ­ réunis autour de Maryse Condé que déjà, en 1948, lors du centenaire de la signature du fameux décret, jugée "à la fois immense et insuffisante" par le poète Aimé Césaire, celui-ci avait pointé du doigt le principal : "Le racisme est là. Il n'est pas mort."

Le compromis pour la célébration annuelle de la "Journée des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions" s'est finalement porté sur la date du 10 mai. Non pas celui de la victoire de l'ancien président Mitterrand, qui avait rendu hommage à Schoelcher, au Panthéon, lors de son accession au pouvoir, mais le 10 mai 2001. A cette date, le Parlement français a adopté la proposition de loi de la députée de Guyane Christiane Taubira, elle-même née de sangs mêlés, portant reconnaissance ­ pour la première fois en Europe ­ de "l'esclavage et de la traite négrière comme crimes contre l'humanité".

Jean-Louis Saux - Article paru dans l'édition du 13.04.05

Mise à jour 30/01/2006

Présidence de la République - Allocution de Monsieur Jacques CHIRAC, Président de la République Française, à l'occasion de la réception en l'honneur du Comité pour la mémoire de l'esclavage

Emetteur : Présidence de la République

Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les Ministres,
Madame la Présidente du Comité pour la mémoire de l'esclavage, chère Maryse Condé,
Monsieur le professeur, cher Maître, cher Edouard Glissant,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord saluer aussi les élèves du Lycée Lenoir de Châteaubriant, du Lycée du Mirail à Bordeaux et du collège Raymond Poincaré à La Courneuve, ainsi que leurs enseignants, qui ont ensemble travaillé beaucoup et intelligemment sur le sujet de l'esclavage. Je suis particulièrement heureux de les accueillir ici, aujourd'hui.

Dans l'histoire de l'humanité, l'esclavage est une blessure.

Une tragédie dont tous les continents ont été meurtris.

Une abomination perpétrée, pendant plusieurs siècles, par les Européens à travers un inqualifiable commerce entre l'Afrique, les Amériques et les îles de l'Océan indien.

Un trafic dont il faut se représenter la réalité : des villageois vivant dans la peur, enlevés en masse, privés de leur identité, arrachés aux leurs et à leur culture. Tant d'hommes et de femmes captifs, entassés dans des bateaux où plus d'un sur dix mourait. Tant d'hommes et de femmes vendus comme du bétail et exploités dans des conditions inhumaines !

Chère Maryse Condé, vous le racontez avec beaucoup de force et beaucoup d'émotion dans votre admirable livre, Ségou.

La plupart des puissances européennes se sont livrées à la Traite. Pendant plusieurs siècles, elles ont assimilé des êtres humains à des marchandises. En France, le Code noir, promulgué en 1685, définissait l'esclave comme un "bien meuble".

L'esclavage a nourri le racisme. C'est lorsqu'il s'est agi de justifier l'injustifiable que l'on a échafaudé des théories racistes. C'est-à-dire l'affirmation révoltante qu'il existerait des "races" par nature inférieures aux autres.

Le racisme, d'où qu'il vienne, est un crime du coeur et de l'esprit. Il abaisse, il salit, il détruit. Le racisme, c'est l'une des raisons pour lesquelles la mémoire de l'esclavage est une plaie encore vive pour nombre de nos concitoyens.

Dans la République, nous pouvons tout nous dire sur notre histoire. C'est d'autant plus vrai que la République s'est construite avec le mouvement abolitionniste.

Les premiers à combattre l'esclavage furent les esclaves eux-mêmes. Les révoltes étaient fréquentes, elles étaient sévèrement réprimées. Plus tard, il y eut le commandant Delgrès, soldat de l'armée républicaine, qui proclama le 10 mai 1802 qu'il voulait "vivre libre ou mourir"; il y a eu Toussaint-Louverture, qui créa les conditions de l'indépendance de Saint-Domingue, devenu Haïti ; il y a eu la mulâtresse Solitude, Cimendef et Dimitile, figures emblématiques des "marrons", comme on appelait alors les esclaves fugitifs. Ces noms, ces destins, hors du commun, souvent tragiques, trop peu de Français les connaissent. Pourtant, ils font bien partie de l'histoire de France.

Très tôt, une prise de conscience avait germé. Quelques-uns, parmi les Européens, s'étaient dressés contre l'esclavage. En France, ceux qui, avant même la République, avaient l'esprit républicain, firent de l'émancipation leur combat.

Ce fut l'honneur de la Première République, en 1794, d'abolir l'esclavage dans les colonies françaises. Rétabli par le Consulat en 1802, il fut définitivement aboli, par la Deuxième République, le 27 avril 1848, à l'initiative de Victor Schoelcher.

Il faut le dire, avec fierté : depuis l'origine, la République est incompatible avec l'esclavage. C'est dans cette tradition historique que s'est inscrite la représentation nationale, lorsqu'en 2001, elle a fait de la France le premier pays au monde à inscrire, dans la loi, la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité.

L'abolition de 1848 est un moment décisif de notre histoire : l'un de ceux qui ont forgé l'idée que nous nous faisons de notre pays, en tant que terre des droits de l'Homme.

Mais, au-delà de l'abolition, c'est aujourd'hui l'ensemble de la mémoire de l'esclavage, longtemps refoulée, qui doit entrer dans notre histoire : une mémoire qui doit être véritablement partagée.

Ce travail, nous devons l'accomplir pour honorer la mémoire de toutes les victimes de ce trafic honteux. Pour aussi leur rendre la dignité. Nous devons l'accomplir pour reconnaître pleinement l'apport des esclaves et de leurs descendants à notre pays, un apport considérable. Car de l'histoire effroyable de l'esclavage, de ce long cortège de souffrances et de destins brisés, est née aussi une grande culture. Et une littérature qui constitue sans doute l'une des meilleures parts de la littérature française d'aujourd'hui : vous en êtes, chère Maryse Condé, cher Edouard Glissant, parmi les plus éminents représentants. Et je pense aussi, bien sûr, à Aimé Césaire et à tant d'autres.

Mesdames et Messieurs,

La grandeur d'un pays, c'est d'assumer, d'assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d'ombre. Notre histoire est celle d'une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu'elle a été. C'est ainsi qu'un peuple se rassemble, qu'il devient plus uni, plus fort. C'est ce qui est en jeu à travers les questions de la mémoire : l'unité et la cohésion nationale, l'amour de son pays et la confiance dans ce que l'on est.

C'est pourquoi je souhaite que, dès cette année, la France métropolitaine honore le souvenir des esclaves et commémore l'abolition de l'esclavage. Ce sera, comme le propose votre rapport, au terme d'un travail très approfondi, auquel je tiens à rendre hommage, le 10 mai, date anniversaire de l'adoption à l'unanimité par le Sénat, en deuxième et dernière lecture, de la loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme un crime contre l'humanité.

Aucune date bien sûr ne saurait concilier tous les points de vue. Mais ce qui compte, c'est avant tout, c'est que cette journée existe. Elle ne se substituera pas aux dates qui existent déjà dans chaque département d'outre-mer. Dès le 10 mai de cette année, des commémorations seront organisées dans les lieux de mémoire de la traite et de l'esclavage en métropole, outre-mer et, je le souhaite, sur le continent africain. Votre Comité devra y veiller.

Au-delà de cette commémoration, l'esclavage doit trouver sa juste place dans les programmes de l'Education nationale à l'école primaire, du collège, du lycée. En outre, les oeuvres, objets et archives relatifs à la traite et à l'esclavage qui constituent un patrimoine d'une exceptionnelle richesse : qui devront être à ce titre être préservés, valorisés et présentés au public dans nos musées.

Nous devons également développer la connaissance scientifique de cette tragédie. Même si cela ne diminue en rien la responsabilité des pays européens, la mise en place de la traite, comme l'a bien montré votre rapport, demandait une organisation, mais aussi des relais actifs dans les territoires dont étaient issus les esclaves ou dans les pays voisins. Il y eut un esclavage avant la traite. Il y en eut un après. Enrichir notre savoir, c'est le moyen d'établir la vérité et de sortir de polémiques inutiles. Un centre de recherche sera donc créé à cet effet.

Et bien sûr, la mémoire de l'esclavage doit s'incarner dans un lieu ouvert à tous les chercheurs et au public. J'ai décidé de confier à Monsieur Edouard Glissant, l'un de nos plus grands écrivains contemporains, homme de la mémoire et de l'universel, la présidence d'une mission de préfiguration d'un Centre national consacré à la traite, à l'esclavage et à leurs abolitions. Je le remercie d'avoir bien voulu accepter. Le Comité pour la mémoire de l'esclavage, chère Maryse Condé, sera naturellement étroitement associé à cette mission.

Enfin, le combat contre l'asservissement est un combat d'aujourd'hui. C'est un combat de la France et de la francophonie. Le travail forcé existe, sous une forme ou sous une autre, sur presque tous les continents aujourd'hui : selon les Nations Unies, plus de 20 millions de personnes en sont victimes. Comment tolérer qu'en ce début du XXIe siècle, il y ait, dans le monde, des familles "enchaînées", génération après génération, dans la servitude pour dettes ? Que tant d'enfants travaillent, et souvent dans des conditions épouvantables ? Que tant de jeunes filles soient vendues par leur famille, pour devenir des domestiques sans salaire ou être livrées à la prostitution ?

Il y a eu des progrès. Mais la tâche reste immense : la France est et doit être au premier rang dans ce combat, combat pour les droits de l'Homme. Afin de lutter contre les survivances de l'esclavage, mais aussi contre ses résurgences dans le contexte de la compétition économique mondiale, il faut approfondir la coopération entre les pays du Nord et le pays du Sud. La croissance doit être, un accélérateur du progrès social et non pas un frein. Il faut aussi rapprocher les organisations internationales concernées, en particulier l'Organisation internationale du travail et l'Organisation mondiale du commerce. Le droit du commerce international ne saurait ignorer les principes fondamentaux des droits de l'Homme.

Il nous faut enfin veiller à ce que les entreprises occidentales, lorsqu'elles investissent dans les pays pauvres ou émergents, respectent les principes fondamentaux du droit du travail tels qu'ils sont inscrits dans le droit international. C'est pourquoi je compte proposer une initiative européenne et internationale. Les entreprises qui, sciemment, auraient recouru au travail forcé, doivent pouvoir être poursuivies et condamnées par les tribunaux nationaux, même pour des faits commis à l'étranger.

Mesdames et Messieurs,

L'esclavage et la traite sont pour l'humanité une tache indélébile. La République peut être fière des combats qu'elle a gagnés contre cette ignominie. En commémorant cette histoire, la France montre la voie. C'est son honneur, sa grandeur et sa force.

Je vous remercie.





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