Résumés: Serge Letchimy
Posté le 05 juin 2005 à 19:37:22 CEST par Phil
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M. Serge Letchimy est le maire de Fort-de-France, membre du Parti Progressiste Martiniquais (PPM). A l'occasion du prochain congrès du PPM 2005, un portrait dressé par une journaliste française sur Serge Letchimy.
source : l'Express du 15/11/2004, Marianne Payot.L'alchimie Letchimy
Le successeur d'Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France a vite imposé
son style, volontariste et proche du terrain. Urbaniste de formation, il
multiplie les grands projets pour sa ville. Mais, s'il veut durer, le
bâtisseur devra aussi se montrer fin politique
Tout est allé vite, très vite. En à peine quatre petites années,
Fort-de-France a consacré un nouveau héros en la personne de Serge
Letchimy. Le modeste conseiller général de 2001 n'est plus qu'un lointain
souvenir. Contre toute attente, le grand Césaire s'est trouvé un
successeur à la mesure. Oh! pas à sa mesure, bien sûr - qui pourrait, dans
l'imaginaire antillais, égaler le «maître»? - mais à la hauteur de cette
ville insensée, ce «cul-de-sac royal» imaginé par Colbert.
«Une plaine inondable et souvent inondée, entourée de collines, face à une
mer qui ne fait pas de cadeaux.» Nul doute: à 91 ans, l'auteur de Cahier
d'un retour au pays natal n'a perdu ni sa verve, ni le goût des mots.
C'est donc cette cité improbable que Letchimy dirige depuis mars 2001. Un
sacré défi, cette succession après cinquante-six ans de règne d'une icône
vivante. Changer sans froisser, redresser sans s'opposer, marquer sans
renier. Bref, exercer son droit d'inventaire sans inventaire... L'exercice
était délicat, le nouveau maire l'a mené avec dextérité, désarçonnant les
sceptiques tout comme ses adversaires. «J'ai dit que je ne ferais pas
d'audit, mais j'ai aussi dit que j'allais assumer la rupture», rappelle
aujourd'hui Serge Letchimy. Les finances exsangues de la ville en 2001?
Son dépeuplement? La perte de ses emplois? L'insécurité du centre-ville?
Pas un mot. «Vous n'entendrez jamais Letchimy émettre une réserve sur la
politique de Césaire», confie l'un de ses amis. A peine signale-t-il que
«Césaire avait la culture du recrutement», en référence aux 3 831 employés
de la ville, chiffre qu'il s'est efforcé de diminuer en favorisant les
départs à la retraite.
«J'ai été frappé par cet homme de couleur très intelligent, sensible à nos
problèmes et grand connaisseur de la topographie de la ville»
Aimé Césaire
C'est ainsi, un fils ne critique pas son père. Car Letchimy, 51 ans, est
bien le fils spirituel de Césaire le bienfaiteur. «Serge est le grand
succès social de Césaire, explique l'avocat Camille Darsières, l'un des
mammouths du Parti progressiste martiniquais (PPM), longtemps conseiller
municipal et ancien député. A l'instar de toutes ces familles anéanties
par la crise de l'industrie sucrière, les Letchimy ont survécu grâce à
Césaire, qui leur a donné un salaire, un gîte, l'eau, l'électricité...»
«Je n'ai pas seulement voulu les recueillir, j'ai essayé de les
accueillir», confie joliment le poète de la négritude, en se souvenant de
tous ces gens de la campagne venus s'installer, de la manière la plus
anarchique qui soit, dans les quartiers les plus pauvres de sa ville,
Trénelle, Volga-Plage, Texaco...
C'est à Trénelle, justement, que la mère de Serge, séparée de son père -
un commandeur d'origine indienne - a tenté de refaire sa vie et d'assurer
le quotidien de ses six enfants. Un seul passera son bac et poursuivra des
études à Paris: Serge, qui, la solidarité familiale aidant, rentre au
pays, en 1980 un DEA d'urbanisme en poche. «Le problème, raconte en riant
Letchimy, c'est que personne ne savait ce que cela signifiait. Architecte,
ingénieur, oui, on connaissait, mais urbaniste...» Césaire, lui, comprend
combien ce jeune homme brillant peut lui apporter: «J'ai été frappé par
cet homme de couleur très intelligent, sensible à nos problèmes et grand
connaisseur de la topographie de la ville. Il m'a offert son aide et j'ai
eu le bon sens d'accepter sa candidature.» Sept ans plus tard, Serge
créait la Société d'économie mixte d'aménagement de Fort-de-France
(Semaff), une structure légère d'une dizaine de personnes chargée de
mettre en place une nouvelle problématique urbaine et d'instaurer
l'ingénierie, un concept cher à Letchimy: en d'autres termes, le «faire
faire», clef de tous les grands projets de Fort-de-France.
«Le Christ est arrivé!», s'exclamait-on alors dans Texaco à la vue de
l'urbaniste au bouc arpentant le quartier à fin de rénovation. Un «Christ»
que Patrick Chamoiseau immortalisera dans son superbe Texaco, prix
Goncourt 1992. «La soumission à l'Occident voulait qu'on rase tout et
qu'on construise des HLM, rapporte le romancier. Serge Letchimy, lui,
s'est comporté de manière remarquable: il a cherché à préserver les lieux
de mémoire tout en laissant jouer l'imaginaire.» En fait, le grand atout
de Letchimy, c'est d'être un homme du peuple hissé dans les hautes
sphères. D'incarner, en quelque sorte, le parfait syncrétisme de l'âme
créole et des vertus républicaines. Son modernisme rassure la petite
bourgeoisie, sa simplicité le rapproche des gens de peu. C'est d'ailleurs
en allant sur le terrain, bâton de pèlerin en main, qu'il a gagné les
élections municipales. «De juin 2000 à mars 2001, j'ai mené ma campagne à
pied, raconte-t-il. J'ai parcouru les 135 quartiers de Fort-de-France. Un
labourage nécessaire pour un petit jeunot comme moi.»
Résultat: à la surprise générale, il ne rate l'élection au premier tour
que de 500 voix et finit avec 5 500 suffrages d'avance sur son principal
opposant, le député et président indépendantiste du conseil régional,
Alfred Marie-Jeanne. Pas mal pour un bleu. Membre du PPM depuis 1984,
conseiller général depuis 1992, l'homme n'est pas un cacique du Parti
progressiste. Pourtant, c'est bien lui que le comité national désigne en
2000, sous la houlette, bien sûr, d'Aimé Césaire, dont il partage
notamment les principes autonomistes fondés sur «la promotion et
l'émancipation du Martiniquais dans une société responsable». «Une
définition de l'autonomie qui, explique Letchimy, sous-entend la capacité
à s'autolimiter. Car nous sommes dans une société de consommation avide de
biens, minée par l'attitude dévorante de l'assimilation. Mais ce discours
est de plus en plus difficile à faire passer et j'ai parfois l'impression
d'être trop ambitieux», lâche-t-il, songeur.
En attendant les lendemains qui chantent, le maire s'est attaqué aux
dossiers les plus urgents, et d'abord au déficit budgétaire. Accélération
des départs à la retraite - avec l'aide financière du secrétaire d'Etat à
l'Outre-Mer de l'époque, le socialiste Christian Paul - élargissement de
la base d'imposition - qui a d'ores et déjà permis de récolter quelque 1,7
million d'euros - rationalisation des dépenses... Il lui a également fallu
s'attaquer à l'amélioration du service public, à la rénovation des écoles
et des crèches, à l'expulsion des squatteurs, à la diminution de la
prostitution, au problème des 400 «errants» de la cité... Les chantiers
sont immenses. Sans compter les gigantesques travaux lancés dans le cadre
du grand projet de ville (voir page IV). De quoi s'occuper à plein
temps... La sagesse, justement, de Letchimy est de ne pas avoir,
jusqu'ici, succombé à la tentation. Election législative partielle en
2003, élections régionales en 2004 (on l'exhortait à être tête de
liste)... les sollicitations n'ont pas manqué. Mais le maire a gardé le
cap sur sa ville.
Alors, parfait, ce Letchimy? Certes, non. Par-ci, par-là, on le dit - sous
couvert d'anonymat - «grande gueule, un tantinet autocrate, trop
perfectionniste, voulant tout contrôler»... Et puis il y a ses premiers
échecs politiques: le revers de Madeleine de Grandmaison aux régionales,
dont il était le n° 2; celui de son poulain, Charles-Henri Michaux, aux
sénatoriales... Au sein du PPM - fondé en 1958 - la crise est patente,
avec, d'un côté, les «anciens», tel Claude Lise (qui ne souhaite pas
s'exprimer sur le maire), président du conseil général, et, de l'autre,
les «modernes», tendance Letchimy. «Il faut revenir à la doctrine de
Césaire, martèle Darsières, qui a choisi le camp Letchimy: réapprendre
l'autonomie et faire vivre ce parti hors des seules périodes électorales.»
Pour l'heure, l'unique bénéficiaire de ces luttes intestines n'est autre
que le charismatique Alfred Marie-Jeanne. En fin tacticien, le dirigeant
indépendantiste est sorti grand vainqueur des dernières élections
régionales. Et Letchimy le sait bien: l'adversaire de demain, ce sera bien
lui, le populaire - mais toujours aussi peu disert envers la presse -
patron du MIM.
Alors, le jour venu, le «pharaon» - ainsi était-il représenté il y a peu à
la Une de Business News - passera, sauf embûche, à la vitesse supérieure.
En allant, par exemple, faire un petit tour du côté de l'Assemblée
nationale. Histoire de défendre dans ce lieu de pouvoir sa conception de
la «capitale» martiniquaise. Et de la Martinique.
Bibliographie : Discours sur l'Autonomie, Ed. Ibis Rouge, 2002, Serge Letchimy.
De l'habitat précaire à la ville, l'exemple martiniquais. Ed. L'Harmattan, Serge Letchimy.
Archives :
Les assises des libertés locales.
Gaffes et excuses de Patrick Devedjian.
le PPM prend des allures de bateau ivre.

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