Histoire : 22 mai abolition de l'esclavage (dernier acte)
Posté le 23 mai 2004 à 03:38:33 CEST par Phil
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Que représente la date du 22 Mai 1848 pour les martiniquais et que penser de l'abolition de l'esclavage en Martinique ?
Histoire de la Martinique : le 22 Mai
Pour tenter de répondre à cette question complexe, regroupons quelques
éléments chronologiques sur l'histoire
des révoltes et l'abolition de l'esclavage aux Antilles et dans la Caraïbe, les événements
et tournants historiques, les analyses
des nationalistes et des historiens (voir Bibliographie)
, les personnages et groupes impliqués
en Martinique, afin de dégager la symbolique de cette date dans
l'histoire de la Martinique et son sens en tant que matrice des
résistances martiniquaises postérieures.
Révoltes d'esclaves et abolition de l'esclavage aux Antilles
Les révoltes d'esclaves sont régulières dès la fin du XVIIIème siècle mais
il apparaît très
rapidement que seulement la révolte haïtienne débouche sur une émancipation
rapide et efficace
assortie d'une conquête du pouvoir politique tandis que la révolte
martiniquaise s'apparente à une
révolution simplement morale, ("Nous sommes des êtres humains !") avec les acteurs et les événements qui
seront rappelés tout au long de cette histoire.
1791 : Révolte d'esclaves à Saint-Domingue.
22 août : mort de Bouckman, principal chef des insurgés.
1793,
20-21 Avril : Révoltes d'esclaves à Trois-Rivières (Guadeloupe)
Août : révolte à Sainte-Anne (Guadeloupe)
Août : Sonthonax et Polvérel abolissent l'esclavage à Saint-Domingue.
1793-1794 : Abolition de l'esclavage par la Convention (Révolution Française), effet
en Guadeloupe (Victor Hugues) et à Saint-Domingue (Sonthonax).
1795 : Révolte des Marrons de Trelawny Bay (Jamaïque)
1797 : Révolte des Noirs de Blue Mountains (Jamaïque)
1802 : Révolte de Delgrès et Ignace en Guadeloupe (rétablissement de
l'esclavage par Napoléon).
1803-1804 : Guerre et Indépendance d'Haïti,
1806 : Insurrection d'esclaves à Trinidad,
1810 : le père Hidalgo y Costilla proclame l'abolition de l'esclavage
au Mexique.
1811 : au Chili.
1821 : Abolition de l'esclavage au Pérou.
1822 : Révolte du Carbet (Martinique),
1824 : Abolition de l'esclavage en Amérique Centrale.
1824 : Affaire Bissette Volny Fabien(Martinique),
1829 : Abolition de l'esclavage au Mexique
1830 : Abolition de l'esclavage en Urugauy
1831 : Emancipation en Bolivie.
1831 : Rébellion de Saint-Pierre (Martinique), Antigua, et Jamaïque
1833 : Soulèvement des libres de couleur de Grande-Anse (Lorrain,
Martinique)
1848 :
21-22 Mai : révolte des esclaves de la Martinique, Saint-Pierre
23 Mai : Abolition de l'esclavage par le Gouverneur Rostoland
(Martinique)
27 Mai : Arrêté du gouverneur Layrle proclamant l'abolition de
l'esclavage en Guadeloupe
Mai-Juin : libération des esclaves hollandais (Saint-Martin,
Saint-Eustache, Saba)
03 Juin : Arrivée à la Martinique de Perrinon, portant le décrêt
d'abolition républicain du 27 Avril 1848.
04 Juin : Arrivée de Gatine en Guadeloupe avec le décret du 27 Avril
10 Juin : Promulgation du décrêt en Guyane.
Juillet : Soulèvement des esclaves de Sainte-Croix (possession du Danemark)
10 Aout : Abolition de l'esclavage en Guyane.
1850 : Abolition de la Traite des Noirs au Brésil.
1851 : Abolition définitive en Colombie.
1863 : Abolition de l'esclavage dans les colonies hollandaises (Surinam, Curaçao)
1865 : Octobre : Rébellion de Morant Bay (Jamaica)
1868 : Révolte des indépendantistes créoles à Cuba
1870 : Insurrection à la Martinique
1873 : Abolition de l'esclavage à Puerto Rico
1886 : Abolition définitive de l'esclavage à Cuba.
Les abolitionnistes martiniquais
L'action conjointe des principaux abolitionnistes martiniquais et des
humanistes français républicains
a permis d'organiser l'après esclavage avec lucidité, tant la pression de
l'émancipation inévitable
des esclaves devenait forte vu :
la crise de l'économie esclavagiste
le contexte international et régional (abolitionnisme anglais et dans
les autres Amériques)
la lutte implacable des esclaves pour se libérer.
Parmi ces personnages on peut citer les futurs députés :
Cyrille Charles Auguste Bissette (1795-1858), homme libre de couleur,
demi-frère présumé de l'impératrice Joséphine, militant abolitionniste et
personnage central de l'Affaire Bissette, résumée plus loin.
François Auguste Perrinon (1812-1861), homme libre de couleur,
porteur du décret d'abolition française en Martinique (le 3 juin 1848),
membre de la commission d'émancipation
mise en place le 4 Mars par le gouvernement provisoire de la République
Française de 1848, et commissaire général de la République en Martinique.
Pierre Marie Pory Papy,(1805-1874), homme libre de couleur,
conseiller municipal de Saint-Pierre lors des événements de Mai 1848,
adjoint chargé de la police et libérateur de l'esclave Romain.
les Humanistes et Républicains français
Ils se nomment Victor Schoelcher, Lamartine, Francois Arago, Garnier
Pagès...
Ils décrètent ainsi que :
4 Mars 1848 : "Nulle terre de France ne peut plus porter d'esclaves".
27 Avril 1848 :
Au nom du peuple français... "Considérant que l'esclavage est un attentat
contre la dignité humaine ;
Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe
naturel du droit et du devoir,
Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain Liberté Egalité
Fraternité"
Décrète :
L'esclavage est entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions
françaises."
Cet humanisme incarné par Victor Schoelcher réussit à convaincre le
pragmatique ministre de la Marine et des Colonies Arago
de la nécessité de cette abolition dès les premières heures de la
République, et ce en droite lignée de la philanthropie des
Révolutionnaires
(Abbé Grégoire) et des Philosophes des Lumières (Montesquieu). Il prévoit
surtout en 15 décrêts
une politique d'affranchissement et une organisation de l'après-esclavage
qui permettent à la fois de ménager la dignité des nouveaux
hommes, les intérêts de la France (sécurité, stabilité, administration) et des colons
(dédommagement). Cette politique sera amplifiée dès 1850
par les lois dites "scélérates" de l'Amiral de Gueydon, de d'Angleberne et de
Pompignan (faisant de la liberté un délit de "vagabondage"), et l'importation massive de la main d'oeuvre indienne.
Puis, le système esclavagiste a été remplacé progressivement par
l'exploitation capitaliste des colonisés...
Remarquons au passage que presque tous ces patronymes d'abolitionnistes
sont associés à des rues de Fort-de-France, collège, lycée, il existe même
des rues ou lieux publics du nom de Pory Papy dans d'autres communes. Mais aucune rue ni lieu public ne
semble porter celui de Bissette à Fort-de-France (semble-t-il, à ce jour ?).
Allez savoir pourquoi...
L'Affaire Bissette Volny Fabien (1824)
Cette affaire est la prise de conscience par les libres de couleurs que
malgré leur droit de posséder
des esclaves et leur dévouement à réprimer les révoltes, ils ne gagneront
jamais l'égalité civique avec les Blancs.
En 1822, ils font circuler une pétition égalitaire "appelant l'attention du Roi sur le sort des esclaves" et sur leur propre situation, ordonnances qui les feront accuser de complot en 1824, condamner au
bagne à perpétuité et marquer au fer rouge... Grâce à leur avocat Me Isambert et l'appui du député Benjamin Constant, ils recouvrent leur liberté en appel devant la Cour de Cassation en 1826.
"La lutte contre l'esclavage va entrer dans une phase nouvelle. Les
libres commencent à comprendre
que leurs aspirations ne pourront être satisfaites que s'ils mettent en
branle la seule force
capable de renverser l'édifice esclavagiste : la masse des esclaves."
(historien Armand Nicolas).
Les mulâtres libres concluent ainsi une alliance avec les esclaves Noirs.
L'insurrection de Saint-Pierre et la fusillade du Prêcheur (22 Mai
1848)
Ces événements constituent le paroxysme de la rébellion esclave.
Une révolte commencée dès le 20 Avril et généralisée dans l'île prend
d'assaut la capitale Saint-Pierre.
Une colonne de 2000 travailleurs noirs revenant de Saint-Pierre , après la
libération
de l'esclave Romain emprisonné, et pénétrant dans le bourg du Précheur, se
heurte à la milice du maire béké Huc. Une fusillade éclate : 25 tués et
50 blessés.
Cette révolte surtout caractérise selon les nationalistes (voir bibliographie pour leur thèse exacte), la spécificité
de la révolte martiniquaise : une révolution morale
dépourvue d'aspiration ou de lendemain politique. Mais surtout une
révolte de masse, collective, organisée, brisant l'isolement de
l'habitation
et débordant l'armée française par le nombre (en l'absence rappelons-le de la
répression des milices mulâtres, complices de la rébellion). La France se voit donc
obligée
d'anticiper la promulgation du décret d'abolition le 23 Mai 1848.
NB : A la lumière de l'histoire, on peut avec précaution proposer une
autre lecture des événements politiques récents à la Martinique:
Le référendum du 7 décembre 2003
Tel le trio Bissette, Volny, Fabien, les élites mulâtres avec l'aval du
gouvernement Jospin, rédigent leur pétition
égalitaire (Déclaration de Basse-terre, Rapport Lise-Tamaya, congrès 2002, document d'orientation institutionnelle, etc...)
dans l'espoir d'acquérir un plus grand pouvoir local et
ainsi de pouvoir rivaliser avec les békés et les maîtres Blancs. Il ne
leur reste plus qu'à mobiliser la masse "servile" pour
"renverser l'édifice" de l'état centralisateur et Jacobin en Martinique. Mais sur ces
entrefaites (Révision de la Constitution par le gouvernement Raffarin
2003), certains d'entre eux s'aperçoivent du risque de
voir perdre à tout jamais l'égalité civique avec les maîtres déjà acquise
et conférée par le statut départemental : certains retournent leur veste.
L'état affûte ses stratégies d'isolement (la Guyane et la Réunion sont
mises à l'écart du processus institutionnel...).
Les masses se rendant compte de la duperie, ne se mobilisent qu'à moitié
et effectuent leur révolte morale contre les mystificateurs (Non à la supercherie ou Non à Michaux-Chevry !).
Révolte morale sans lendemain politique.
La victoire d'Alfred Marie-Jeanne aux élections régionales de 2004 :
Le défi moral cette fois-ci consiste à préserver les deniers publics du Conseil Régional de
l'appétit des élites complaisantes ("Pa ba moun ki fen séparé
mangé, pa ba moun ki rafen séparé lajan"),
une révolte du bulletin de vote pour élire le seul candidat intègre
(nationaliste à qui on confie paradoxalement les clés de la trésorerie de l'Autre Nation, celle
qu'on préfère),
étant entendu qu'il ne s'agit pas vraiment d'une insurrection démocratique
pour l'indépendance (ni d'une révolte politique) mais bien d'un simple sursaut moral contre la classe politique rapace.
L'insurrection du Sud (Septembre 70)
Autre insurrection partant du même contexte que la révolte de Mai 1848,
l'insurrection du Sud de Septembre 1870 a cette fois-ci pour mobile la redistribution des terres, elle va donc plus loin que Mai 1848 dans
l'intention émancipatrice ("Cette terre est à nous !"). Mais elle reste
contenue
par l'armée.
Les schémas modernes de résistance : les Grandes Grèves et émeutes
Héritée du modèle de l'histoire de Mai 1848 et Septembre 1870, une révolte partie d'un
fait divers et localisée à une habitation ou une usine est rapidement
maîtrisée par la répression républicaine (armée, CRS, police..)
avec liquidation judiciaire ou physique des meneurs avant qu'elle
n'embrase les environs, et qu'elle cristallise sur toute la
Martinique.
Isolement, répression et criminalisation de l'action syndicale qui
pourrait servir de "courroie de transmission"...
1881 : Grève des corporations de Saint-Pierre
1884 : Emeutes de la Batterie d'Essault à Saint-Pierre
1900 : grève des ouvriers agricoles et affrontements au François
1924 : grève et fusillade de Bassignac
1934 : Marche de la Faim à Fort-de-France (interposition de Victor
Sévère entre l'armée et les Martiniquais).
1945 : Grève (et affrontements) du Nord
1948 : Grève (et affrontements) du Carbet
1951 : Grève (et affrontements) de Ducos
1959 : Emeutes de Décembre 59 à Fort-de-France
1961 : Grève et fusillade du Lamentin
1974 : Grève et fusillade de Chalvet des ouvriers de la banane
(Février 74).
NB : La crise de la banane 2003-2004,
Les petits producteurs réussiront-ils avant qu'ils ne disparaissent à se
regrouper pour "sauver la banane antillaise"
et rivaliser avec les grands groupements et avant que l'OCM de la Res
Publica Européenne n'ait le temps d'organiser les décrets de
l'"après-banane" ?
L'assimilation et le retournement du schéma colonial
On semble assister inoxerablement aujourd'hui à ce qui pourrait se résumer
à une conversion du producteur de richesses de jadis
pour les békés et la métropole (le colonisé antillais) en un consommateur
de richesses produites
dans l'ex-métropole, schéma d'assimilation beaucoup plus efficace que les
stratégies d'isolement et de répression,
puisqu'il satisfait à la fois le désir de ressembler à l'homme français
républicain et de se hisser sur un siège de dignité et d'égalité à ses
côtés,
et puisqu'il anihile toute possibilité de "marronage" économique.
Histoire et commémoration du 22 Mai 1848
La date du 22 mai commémore ainsi par une fête régionale (et non nationale) la
capacité au XIXè siècle des Martiniquais de se mobiliser
collectivement pour atteindre un objectif social mais aussi leur incapacité à la
transformer en
victoire politique, par une guérilla continue comme l'inventèrent dans
leur histoire les Haïtiens au début du XIXè siecle et
comme l'appliquèrent les Cubains ou d'autres peuples colonisés, au XXè siècle.
Sources, Bibliographie :
Revue du Conseil Général de la Martinique n°23 (Portaits des
abolitionnistes de Geneviève Léti, agrégée d'histoire)
La Face cachée de la France aux Antilles (Guy Cabort-Masson, Camille
Chauvet, nationalistes)
Questions sur l'histoire de la Martinique (Claude et Magdeleine Carbet
et Gilbert de Chambertrand); NDW: chef d'oeuvre de propagande historique
békée.
Le XIX ème siècle un siècle d'abolition, un siècle de libertés (Cécile
Celma, Murielle Mathieu, collaboration de Léo Elisabeth, Président de la
société d'histoire de la Martinique)
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